Trace et IBM s’associent pour lancer CYCLop, une solution de blockchain permissionnée destinée à l’ensemble de la filière des déchets et de leur traitement. La réglementation constitue un accélérateur des usages blockchain pour ce secteur. Entretien.
Comment réunir les acteurs d’une filière autour de problématiques communes et faciliter les partages de données ? En créant de la valeur et sur la base d’une technologie préservant la confidentialité des données, notamment.
Le sujet de la traçabilité constitue un enjeu pour de multiples filières de l’économie, comme l’alimentaire et l’automobile. Le projet blockchain XCEED, auquel participent Renault et IBM, s’est lancé sur un premier cas d’usage lié à la conformité. Ce thème est aussi majeur dans le secteur du traitement des déchets.
Un pilote et des ambitions pour l’économie circulaire
Cette industrie réunit plusieurs des conditions favorables à l’exploitation de la blockchain : une multiplicité d’acteurs et de pratiques en matière de traçabilité des déchets, une grande diversité des applications et de maturité numérique, un usage encore prononcé du papier… Et surtout, une pression réglementaire qui s’accroît.
Pour répondre à ces exigences et également afin de dégager de l’efficacité opérationnelle, la blockchain constitue une piste sérieuse. La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (dite loi AGEC) est entrée en vigueur le 1er janvier. Elle impose de nouvelles obligations aux acteurs de la filière.
Parmi ces obligations, le partage des données de traçabilité des déchets au sein d’un registre national des déchets. Sont notamment concernés les terres excavées, les sédiments et les produits de la démolition. Pour répondre à ce « défi de la traçabilité » et en maîtriser les coûts, IBM et le Français Trace proposent donc de « fédérer » la filière et ses parties prenantes.
La réponse : CYCLop, un réseau blockchain privé bâti sur Hyperledger Fabric. Le projet a débuté à l’été 2021 afin de développer un premier prototype. Un pilote a démarré avec de premiers utilisateurs (dont le nombre et l’identité ne sont pas précisés) fin 2021. Ce pilote devrait se prolonger sur le 1er semestre 2022.
Premier cas d’usage sur les terres
Cette première étape porte sur un cas d’usage spécifique couvrant la traçabilité des terres, des déblais et des sédiments pour le secteur de la construction. Au cœur de ce pilote, un processus et un document associé : le Bordereau de Suivi de Déchets des terres excavées.
Ce processus n’est pas nouveau, mais mobilise de multiples acteurs, comme l’explique Didier Lusseyran, directeur général de Trace Digital Processing à Coins.fr : transporteurs, producteurs et responsables du traitement des déchets interviennent dans ce processus.
Mais « ils utilisent des applications différentes. D’autres ne sont pas équipés de solutions applicatives. Le domaine se caractérise par une grande diversité d’acteurs et de méthodes avec une obligation de suivre au plus près les déchets et une réglementation qui va se renforcer » , souligne le dirigeant.
Si les applications de collecte de cette donnée existent, fait en revanche défaut « la capacité de fédérer l’ensemble de ces informations permettant de disposer d’une traçabilité probante et transparente sur l’ADN des déchets. Le besoin se situait ici. Or il se trouve qu’une technologie existe, stable, opérationnelle et capable de passer à l’échelle : la blockchain » , poursuit-il.
Son usage doit donc permettre de « notariser » l’information relative à la traçabilité à chaque étape en intégrant l’ensemble des acteurs de la chaîne. Avec un bénéfice notamment : une simplification dans la réconciliation des données pour les grands donneurs d’ordre au travers « d’une vue unique partagée par tous ».
Une solution commune et transverse
Le développement de CYCLop va se poursuivre au-delà de ce premier cas d’usage. Comme l’explique Vincent Fournier, blockchain leader chez IBM France, la finalité est de concevoir une solution « commune à l’ensemble des différents acteurs, en termes de rôles, et transverse dans les filières. L’enjeu est de créer un squelette face à un risque de mille-feuilles applicatif ».
CYCLop doit également répondre aux enjeux liés aux risques et aux coûts opérationnels. Comment ? Grâce à une participation de la filière autour d’un actif commun. « La mise en place de la blockchain permet d’harmoniser et standardiser plus encore les meilleures pratiques », ajoute Lusseyran.
L’objectif est actuellement d’étendre la blockchain à d’autres déchets, avec une extension fonctionnelle afin de couvrir d’autres types de données et d’être véritablement transverse à l’ensemble des filières. « Nous menons des discussions pour couvrir d’autres types de déchets afin d’étendre le pilote à d’autres catégories d’acteurs », précise Vincent Fournier.
Cette étape a pour but de lancer une dynamique de consortium avec « quelques co-porteurs ». La construction de la plateforme CYCLop se veut donc agile pour tenir compte des besoins des nouveaux participants.
Nous sommes en train d’étendre sur l’amont pour remonter depuis l’identification des déchets. Par ailleurs nous intégrons des règles métier permettant notamment de faire la gestion du contradictoire ou encore des aides sur le pilotage de la valorisation du déchet », détaille Vincent Fournier.
Nouvelle phase de développement 2022 et 2023
Pour remonter les informations, CYCLop va donc s’intégrer à l’existant des entreprises du déchet ou à leurs futurs déploiements, l’IoT par exemple. La plus-value de la blockchain se situe au niveau de la capacité à remonter l’information et à la consolider en temps réel, par exemple sur l’empreinte carbone. Les utilisateurs ne disposant pas de solution existante accèderont à un système de remontée de la donnée via « une interface simple ».
Il s’agit fondamentalement d’un back-end pouvant s’intégrer à un existant, comme à celui des acteurs dotés d’un applicatif leur permettant de remonter en propre leurs données de traçabilité, mais sans disposer de la vue étendue à toute la filière”, explique l’expert d’IBM.
CYCLop se double en effet d’une application pour la consultation du flux de données, c’est-à-dire de la vie du déchet : vue consolidée du bordeau et de ses versions, éléments d’ancrage dans la blockchain et fonctions d’analyse dans un cadre tenant compte de la confidentialité et donc du périmètre de chaque entreprise.
Outre le développement fonctionnel, IBM et Trace travaillent de concert à l’onboarding d’acteurs de la filière. En parallèle, l’objectif sur le 1er semestre 2022 est de structurer le groupe des co-porteurs de l’initiative pour pouvoir entamer une nouvelle phase de développement sur le 2e semestre et 2023.
Au niveau technique, le réseau blockchain est donc de type privé et repose sur l’algorithme de consensus Raft (adapté pour le pilote et le passage à l’échelle). CYCLop comprend aujourd’hui 9 nœuds déployés dans un environnement cloud.
Photo : Didier Lusseyran, directeur de TRACE Digital Processing (à gauche) et Vincent Fournier, blockchain leader chez IBM France (à droite).
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