Déjà gestionnaire de 4,5 milliards de dollars d’actifs, CoinShares prend pied aux États-Unis, notamment sur les ETF spot Bitcoin. L’acteur européen de référence des ETP se verrait bien en « petit BlackRock de la crypto ». Interview avec son DG France.
La fin d’année a été studieuse pour le britannique CoinShares et ses équipes. La décision de la SEC sur les ETF spot Bitcoin est allée très vite, considère Benoît Pellevoizin, le directeur général de CoinShares France.
Nous étions pratiquement certains de l’arrivée de ces ETF. C’est peut-être même un peu plus rapide que ce que nous avions anticipé”, reconnaît-il.
La victoire de Grayscale en justice face à la SEC a été un facteur déterminant. C’est donc désormais acquis, Bitcoin est validé par les « plus grands gestionnaires d’actifs mondiaux. C’est une véritable institutionnalisation », analyse le CEO.
Le processus de financiarisation étendue à Bitcoin
CoinShares n’est pas un nouveau converti. En effet, l’entreprise aux ambitions internationales a créé le premier ETP crypto en 2015 en Europe.
Les fondateurs de CoinShares ont anticipé que le processus classique de financiarisation d’un actif serait similaire sur Bitcoin, à l’instar de ce que nous avions pu observer sur l’or, les matières premières ou l’immobilier.”
« Bitcoin, et les actifs numériques plus globalement, vivent ce moment de financiarisation », juge Benoît Pellevoizin. Et ce mouvement a débuté en Europe. XBT Provider de CoinShares, avec ses près de 2 milliards de dollars d’actifs sous gestion, est disponible sur le Vieux Continent depuis 2015. Les produits ETF/ETP en Europe totalisent plus de 10 milliards de dollars sous gestion.
Le lancement d’ETF spot sur Bitcoin aux États-Unis marque néanmoins un tournant pour la finance. Le marché américain pèse 50% de la gestion d’actifs au niveau mondial. « On peut imaginer que beaucoup d’Américains seront exposés au Bitcoin via ce type de produits dans les années à venir », entrevoit le cadre de CoinShares.
Cette dynamique aux États-Unis peut-elle influer sur le marché européen ? Entre les deux continents, des différences notables sont à prendre en compte. Les ETFs européens sont multi-actifs. Donc en Europe les ETPs qui sont mono-sous-jacents sont des ETCs (Exchange Traded Commodities), tels que les crypto-ETPs.
Des freins aux fonds crypto en France
La majorité des ETP en Europe sont des ETC [Ndlr : exchange traded commodity], appartenant à la même famille que les ETF. Ils répliquent la performance du sous-jacent avec la particularité, pour la majorité d’entre eux, d’être physiques”, détaille Benoît Pellevoizin.
Les investisseurs européens disposent donc de produits d’investissement comparables, y compris crypto. L’Europe ne constitue cependant pas un marché homogène. La France est à la traîne auprès du retail en raison des freins mis par les distributeurs, les « gatekeepers », dont les banques et courtiers.
Le retail représente environ 95% des clients de CoinShares. Mais ceux-ci résident principalement en Allemagne, en Suède, en Autriche, aux Pays-bas et en Suisse.
En France, les banques et les courtiers ne vous permettent pas d’investir via ce type de produits.”
Aux États-Unis, plusieurs brokers, dont Vanguard, ont d’ailleurs déjà prévenu qu’ils ne distribueraient pas d’ETF spot sur Bitcoin.
« C’est notre problème en France. En comparaison, en Allemagne, tous les courtiers et toutes les banques proposent nos produits », précise Benoît Pellevoizin, pour qui l’exposition à la crypto au travers d’ETP est préférable. D’ailleurs, l’arrivée des ETF spot aux US devrait se traduire par la démocratisation de l’exposition aux actifs numériques.
L’ouverture du marché américain pourrait-elle déboucher sur des évolutions en Europe ?
Même si la finance est globalisée, ce type de produit voyage très mal. Les ETF Bitcoin ne peuvent pas être proposés en Europe”, prévient le directeur de CoinShares France.
Halving Bitcoin et demande : 2 leviers de croissance
A Hong-Kong, plus d’une dizaine de gestionnaires d’actifs préparent des ETF Bitcoin et Ethereum.
L’idée se diffuse. Je constate par ailleurs qu’en Europe, les discussions avec les gatekeepers sont plus faciles”, ajoute le dirigeant.
Et celui-ci de faire un parallèle avec l’univers de la mode. Dans ce secteur, la France joue un rôle d’influenceur. Ce statut, les États-Unis le tiennent sur la finance.
Il est nécessaire que le produit passe par les États-Unis pour être validé mondialement. On l’a observé avec les matières premières, l’immobilier et la dette, par exemple.”
Une plus grande démocratisation des ETP crypto en France (mais aussi en Europe) n’est donc pas à exclure. Et CoinShares entend clairement tirer profit de cette tendance pour nourrir sa croissance.
Halving Bitcoin et demande constituent d’indéniables leviers de développement.
Nous disposons de l’organisation, tout comme du savoir-faire sur la structuration des offres et la régulation. Nous sommes une entreprise cotée sur un marché régulé”, met en avant Benoît Pellevoizin.
Et pour se démarquer des assets managers de la crypto en Europe, CoinShares revendique également son positionnement d’acteur global. Depuis septembre dernier, l’entreprise londonienne dispose d’une offre de hedge fund aux États-Unis. Plus récemment, elle confirmait son intention d’exercer son option d’achat sur Valkyrie Funds, engagé dans la course aux ETF BTC.
Notre objectif est d’être le leader global de la gestion d’actifs, en étant Européen, mais aussi présents aux États-Unis, en Amérique Latine et en Asie (…) Notre ambition est d’être un petit BlackRock de la crypto.”
Institutionnels, RIA et retail : 3 canaux et des gagnants
En 2024, la stratégie de CoinShares consistera à poursuivre le développement d’ETPs afin notamment de gagner des parts de marché en Europe. Aux États-Unis, l’objectif est de concevoir « une vraie plateforme produit » avec Valkyrie. Sur l’activité Hedge Funds, le Français prévoit d’introduire de nouveaux fonds. Quant à l’ambition globale, il est simple : « avoir plus d’encours sous gestion ».
Sur les ETF spot Bitcoin, la concurrence s’annonce rude. La différenciation repose principalement sur les frais et la liquidité. Les canaux de distribution sont aussi centraux. On en dénombre trois : les institutionnels, les RIA [Ndlr : registered investment advisor] et le retail.
La concurrence se fera sur les frais, la liquidités et les stratégies de distribution, basées sur la puissance commerciale et les relations avec des réseaux de RIA ou les brokers retail”, analyse Benoît Pellevoizin.
Sur les institutionnels, Fidelity, Invesco et BlackRock sont les mieux positionnés, juge-t-il. « Une grosse bataille est à prévoir sur les RIA », prévoit-il par ailleurs. D’autres acteurs cibleront spécifiquement le retail.
Priorité au retail et aux RIA pour CoinShares
RIA et retail sont les marchés cœur pour CoinShares. En contrepartie d’une baisse de sa rentabilité ?
Aucun des nouveaux produits ETF Bitcoin n’est rentable. Tous les acteurs ont cassé leurs frais de gestion”, relève le dirigeant.
Pour les grands et anciens gestionnaires, cette remise est cependant un moyen de rajeunir leur clientèle au travers d’un produit d’appel, suggère-t-il. Quelle place pour CoinShares ?
Sur les fonds de pension, ce sera très compliqué. Nous ne sommes pas BlackRock ou Fidelity. Néanmoins, Valkyrie et CoinShares sont des marques respectées de la communauté crypto et bénéficient d’une réputation d’experts. Cela peut parler au retail et potentiellement aussi aux RIA”, décrypte Benoît Pellevoizin.
La bataille se joue cependant à plus long terme. « Attendons 18 mois. Combien de produits resteront sur le marché ? Un acteur aura-t-il raflé la mise ? Si oui, qui ? » L’issue se jouera sur la durée, estime-t-il.
Avoir 5 milliards sous gestion sur ce type de produit, ce qui n’est pas impossible aux États-Unis, c’est un succès. Pour BlackRock, c’est un échec. Pour CoinShares, c’est super (…) Nous sommes une petite société. Notre objectif, c’est la rentabilité”, conclut-il.
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