Le projet blockchain XCEED réunit plusieurs industriels de l’automobile, dont Renault. La conformité du véhicule est un premier cas d’usage, mais les ambitions au sein de la filière auto vont au-delà. Interview.
Parvenir à faire travailler en écosystème (ouvert) les industriels de l’automobile n’est pas une mince affaire. Il s’agit notamment de revoir la relation historique entre donneurs d’ordre et fournisseurs pour faire émerger une approche plus collaborative et partenariale.
Mais s’il y a un intérêt sur lequel tous les acteurs de la chaîne se retrouvent, c’est bien celui de l’excellence opérationnelle. Le partage de données en quasi temps réel dans le cadre d’un réseau de confiance est un levier en la matière. Et c’est aussi un des usages permis par la blockchain.
De la coordination à la collaboration industrielle
Depuis 2018 déjà, Renault et des partenaires planchent sur le développement d’une solution blockchain permettant d’interconnecter les acteurs de la filière auto en Europe. Après un pilote sur le site Renault de Douai, la solution XCEED était officialisée en avril 2021. L’application répond à une problématique opérationnelle des industriels.
Nous avions un problème, qui devient de plus en plus épineux, sur la gestion en temps réel de la compliance et de la conformité de bout-en-bout : conception, après-vente et dans toute la profondeur de la chaîne”, détaille Odile Panciatici, Blockchain Project VP du Groupe Renault, à Coins.fr.
La vice-présidente blockchain du groupe Renault et coordinatrice du projet XCEED précise ainsi que jusqu’alors ces opérations étaient gérées principalement de façon manuelle. Une approche difficilement conciliable avec les exigences croissantes des autorités et des clients en faveur de plus de transparence.
Pour innover et générer de la valeur, Renault s’est donc associé à IBM, promoteur de la technologie blockchain Hyperledger, une solution de réseau privé open source. Mais pour créer de l’excellence opérationnelle, XCEED devait passer du PoC interne à un déploiement auprès de différents participants de la chaîne de production.
la blockchain en « appui » de règles contractuelles
Lorsqu’on produit des voitures, on a l’habitude de fonctionner en écosystème. Mais les modes de travail sont multiples. Jusqu’à présent, nous faisions plutôt de la coordination. Là, nous passons à un mode plus collaboratif. Autour d’XCEED, nous sortons de la relation client-fournisseur pour une relation partenariale où chaque acteur est au même niveau”, précise Odile Panciatici.
Sur le volet de la conformité, des règles sont cependant déjà inscrites dans les contrats liant les entreprises. La blockchain vient ainsi en « appui » de celles-ci. Et par ailleurs, le traitement de la conformité est « un bien commun » pour les entreprises du secteur.
« Tout le monde a envie de traiter la conformité plus rapidement, plus facilement, d’éviter de réconcilier l’information manuellement dans les usines et de multiplier les interactions avec l’ensemble des acteurs de la chaîne », souligne Vincent Fournier, blockchain practice leader chez IBM.
La conformité, comme dans l’alimentaire, constitue donc un terreau fertile pour l’usage de la blockchain. Le partage de ces données s’impose pour les industriels. L’enjeu étant donc avant tout d’optimiser ce partage, grâce notamment à l’automatisation. Cette première étape d’XCEED permet ainsi de fédérer l’écosystème.
La roadmap de l’application blockchain prévoit cependant d’étendre cette collaboration à d’autres cas d’usage. « La technologie blockchain va apporter de l’excellence opérationnelle, non plus au niveau d’une entreprise, mais d’une communauté », ajoute Odile Panciatici. Et la conformité couvre de nombreux enjeux.
Conformité, batterie, empreinte carbone…
Elle intervient dans les différentes phases du cycle de vie d’une voiture. De plus, la conformité ne se cantonne pas au respect des réglementations. C’est notamment, aussi, le respect du cahier des charges. « Cet axe de conformité s’applique au développement sur 14 sites industriels sur les caractéristiques réglementaires, géométriques et matières ».
D’autres modules portent par ailleurs sur la certification. Lors de la conception, les véhicules doivent notamment être homologués. Et en raison de la connectivité accrue des véhicules, cette homologation comprend, entre autres, un volet sur la cybersécurité. Les mises à jour logicielles (réalisées over-the-air) doivent aussi respecter des interactions et certifications. La conformité touche aussi l’après-vente. Mais les préoccupations progressent également sur l’empreinte carbone.
Ce que nous cherchons avec XCEED, c’est une optimisation au niveau de l’écosystème. L’optimum global n’est jamais la somme de l’optimum local. Par conséquent, pour optimiser au global l’empreinte carbone, les solutions ne résident pas nécessairement au niveau de chacune des entreprises”, détaille la coordinatrice du projet.
Le développement de ce module de la solution blockchain devait intervenir au cours des prochains mois. Le recyclage est un autre domaine de développement futur, d’autant que les obligations réglementaires sont amenées à croître. La traçabilité des batteries des véhicules électriques est également un enjeu pour la filière.
Une gestion temps réel des composants
La complexité en la matière est forte. La seule traçabilité du cobalt de la batterie implique 16 rangs. Contrôler cette chaîne depuis un seul point est un véritable challenge. « La blockchain permet à chacun d’amener sa pierre à l’édifice ». La filière, impactée par la crise sanitaire et des pénuries de composants, prévoit en outre un module pour la gestion des capacités.
Nous ne disposons pas aujourd’hui de gestion temps réel des composants et de visibilité sur les besoins. Ces données sont très confidentielles. L’intérêt de la blockchain sera de permettre à chacun de saisir ses données confidentielles. Les algorithmes calculeront un certain nombre de paramètres, comme les risques de pénurie”, déclare Odile Panciatici.
Grâce à XCEED, l’ambition est donc de disposer, au niveau de l’ensemble de la filière auto, d’une vision unifiée des besoins afin d’établir des prédictions et d’adapter l’outil de production. Mais les enjeux dépassent l’automobile. La dirigeante de Renault confie ainsi que des discussions interfilières sont en cours, notamment avec l’aéronautique et le ferroviaire.
En termes de fonctionnement opérationnel, chaque usine peut remonter de la donnée vers une plateforme, XCEED. Des objets, comme un composant ou un véhicule, sont créés dans l’application. Chacun de ces objets est ensuite alimenté (automatiquement ou non) et associé à des tests de conformité et des résultats.
A ces enregistrements s’ajoutent des fonctions avancées de recherche afin par exemple d’extraire sur des périodes ou des sites des résultats de conformité. La plateforme gère par ailleurs la confidentialité, c’est-à-dire la capacité de chacun des acteurs de la chaîne à visualiser des données.
Un consortium blockchain de milliers de membres
En avril 2021, XCEED réunissait 6 entreprises fondatrices, dont Faurecia et Knauf Industries. L’objectif fin 2021 était d’atteindre les 70 partenaires. Les profils ont évolué en cours d’année pour ne pas intégrer seulement des OEM et fournisseurs, mais aussi des prestataires technologiques. Laboratoires, organismes de certifications, fabricants de biens d’équipement se montrent aussi intéressés.
Un second constructeur de véhicules, en plus donc de Renault, doit en principe rejoindre la gouvernance (avec des décisions à l’unanimité) du projet XCEED d’ici la mi-2022. Deux ans plus tard, l’objectif est d’atteindre le total de 6 OEM, et pas uniquement dans l’automobile. La constitution du consortium (qui vise plusieurs milliers de membres en 2024) interviendra à une échéance à définir (avec des décisions à la proportionnelle vraisemblablement).
XCEED marque vraiment le début de l’utilisation de la blockchain dans les industries lourdes. C’est aujourd’hui une première étape. Nous avons commencé avec des cas d’usage qui étaient de faire des audits de manière efficiente, gérer la conformité, limiter les coûts des campagnes de rappel et traiter plus rapidement les demandes des clients. A ces cas d’usage très pragmatiques, nous trouvons de nouvelles applications sur des gestions plus collaboratives. C’est un cercle vertueux de valeur dont nous tirons les premiers fruits”, se félicite la vice-présidente blockchain de Renault.
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