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La DeFi en mutation : PSAN, ponts avec la TradFi, DAO, RWA…

Crédit: Shutterstock

Pensée au départ comme une alternative à la CeFi, la finance décentralisée développe au contraire des ponts avec des services centralisés et la TradFi. Retour sur les multiples challenges qui attendent encore la DeFi avec les experts d’Aave, KaikoAtlendis et Mangrove.

 

2022 a été une année de chamboulements pour l’industrie crypto en raison de faillites retentissantes. En juillet, un panel d’experts défendait dans ce contexte la résilience de la DeFi. Selon eux, la crise était avant tout celle de la CeFi.

La finance décentralisée ou désintermédiée, qualificatif que lui préfère le gouverneur de la Banque de France, n’a cependant pas été épargnée par le bear-market et ses conséquences. Et l’heure n’est sans doute plus à une opposition entre CeFi et DeFi – dont les protocoles connaissent une forte adoption en France.

Des intermédiaires désormais optionnels

Marc Zeller, le fondateur d’Aave Chan Initiative, le fournisseur de la DAO d’Aave, rappelait le mois dernier lors de la conférence Fintech 3.0 de l’Adan que le but initial de Bitcoin et de son créateur était d’offrir la possibilité de se passer d’intermédiaires.

Et pourtant, plus d’une décennie plus tard, nous avons des PSAN, par définition des intermédiaires qui vont permettre des services. On pourrait être tenté de penser qu’il y a un problème dans le système”, résume-t-il.

Ce n’est cependant pas la bonne conclusion, estime Marc Zeller. « Pour la première fois dans la finance, les intermédiaires sont optionnels (…) La révolution technologique se situe là ». Quant à la place des intermédiaires, des fournisseurs de services, elle est redéfinie, comme leur plus-value.

Philippe Honigman de Mangrove, Clara Medalie de Kaiko, Charlotte Eli d’Atlendis Labs et Marc Zeller d’Aave

Du statut d’acteurs « obligatoires » car incontournables, ils passent à celui d’optionnels, favorisant une plus grande concurrence, du moins dans la finance crypto. Philippe Honigman, chargé de la coordination et de la gouvernance de Mangrove, insiste par ailleurs sur la nature programmable et la « protocolisation » des services.

Autour de ces protocoles, presque naturellement et comme on a pu l’observer dans le Web2, émergent des services nécessaires, par exemple de sécurisation ou de mise à disposition de l’expérience utilisateur. Ils rendent utilisables les protocoles sous-jacents”, déclare-t-il pour expliquer l’apparition de nouveaux intermédiaires.

Pour Clara Medalie, directrice de la recherche de Kaiko, la DeFi reste par ailleurs « assez confinée » et bridée dans son développement en raison de ses usages cantonnés exclusivement aux actifs numériques.

Les horizons Real World Assets de la DeFi

La CeFi, dont les exchanges sont les principaux représentants, a diversifié ses activités et propose des actifs variés, comme des actions et des matières-premières. Elle peut ainsi toucher une cible plus large, dont des institutionnels et établir des ponts avec la TradFi. Les liens « restent peu développés en revanche entre TradFi et DeFi », même si en France SG-Forge de Société Générale a mené de premières expérimentations avec MakerDAO.

« Créer ces ponts constitue une véritable tendance. Beaucoup d’entreprises s’efforcent de les développer », signale la cadre de Kaiko. Capter la clientèle institutionnelle, consommatrice de la finance traditionnelle, c’est aussi l’ambition d’Atlendis Labs et de son protocole DeFi de lending destiné à « ouvrir le marché de la dette privée » et à la démocratiser.

Onboarder des entreprises de l’économie réelle n’est pas simple cependant, reconnaît sa cofondatrice, Charlotte Eli. Pour lever ces barrières à l’entrée, Atlendis Labs développe donc désormais des services de conseil via une 2e entité baptisée Atlendis Flow et enregistrée PSAN depuis juillet 2023.

De pur acteur de la DeFi, l’entreprise se positionne désormais « entre TradFi et DeFi ». Sur le volet réglementaire, le « setup légal », Atlendis s’inspire aussi directement de l’univers de la finance traditionnelle. L’onboarding implique des étapes incontournables en TradFi, comme le KYC, alors qu’elles demeurent rares sinon inexistantes dans la DeFi.

Nous fournissons des lignes de crédit (…) Tout est automatisé, transparent, visible on-chain et à aucun moment nous ne contrôlons les fonds des utilisateurs. Nous essayons de prendre le meilleur des deux mondes”, revendique Charlotte Eli, signe que l’avenir de la DeFi passera en partie par son hybridation.

Vers une hybridation de la finance décentralisée ou phase de maturité

L’évolution de la finance décentralisée, c’est aussi la tokenisation, soit l’arrivée sur la blockchain de Real World Assets (RWA), des actifs ou collatéraux aujourd’hui off-chain. La tokenisation constitue « la phase de la maturité du marché des crypto-actifs », estime Marc Zeller. L’intérêt de la DeFi et du secteur à l’égard de ces actifs est évident.

C’est l’opportunité « d’ouvrir l’horizon du marché crypto, qui a prouvé sa valeur dans son cercle commun ». Pour la saisir, l’industrie de la finance crypto va cependant devoir au préalable « relever le challenge réglementaire ».

Or, cela suppose des concessions « qui ne sont pas forcément conciliables avec une vision pure de la DeFi, à savoir un système sans permission, ouvert à tous, c’est-à-dire sans KYC, KYB ou de contrôle systématique des capitaux, comme d’AML on-chain ».

Une telle approche appliquée aux RWA, par définition des securities et actifs régulés, est incompatible. Le fondateur d’ACI observe donc l’apparition d’un nombre croissant de protocoles opérant un pont avec la TradFi et « faisant un consensus entre le meilleur des deux mondes ». Cela signifie donc le respect de standards réglementaires, mais avec des smart contracts décentralisés et open source.

On conserve la plus-value d’auditabilité, de fiabilité et de décentralisation, mais au détriment de l’aspect permissionless”, détaille-t-il.

Dans la tokenisation immobilière via un acteur comme RealT, un utilisateur est par exemple tenu de présenter une pièce d’identité et son adresse doit être validée par la plateforme.

Malgré ces concessions, Marc Zeller considère la tokenisation des RWA comme la phase de la maturité pour l’écosystème. « Au final, il est important d’offrir des options aux utilisateurs », poursuit-il. Ces alternatives, la CeFi s’y intéresse également. Et malgré la faillite de FTX et la crise de confiance qu’elle a engendré, la DeFi n’a pas comblé le vide laissé.

La DAO, un OVNI en quête d’identité juridique

11 mois après la faillite, ce n’est toujours pas le cas. La baisse d’activité persiste sur les protocoles décentralisés”, note Clara Medalie.

Le manque de capital est une explication à cette situation. Pour la représentante de Kaiko, la réglementation constitue une autre raison, notamment aux Etats-Unis. L’enjeu réglementaire porte aussi sur les DAO que le droit existant peine à qualifier.

On a tendance à voir les DAO comme l’équivalent des entreprises tournant sur la blockchain avec du code pour opérer leur fonctionnement. Je vois plutôt la DAO comme un mode d’organisation des marchés et des écosystèmes dans lequel les acteurs se donnent des règles de fonctionnement”, les définit Philippe Honigman.

« Jusqu’à présent, on a été dans une vision qui plaçait les DAO, car transnationaux, hors d’atteinte du régulateur. On est bien obligés de réaliser qu’il n’en est rien. Et si on souhaite que la DeFi interagisse avec le monde réel et ses actifs, il faudra bien compter avec le régulateur », poursuit-il.

La France précurseur sur le statut des DAO ?

Pour Mangrove, l’évolution passera par une transformation au niveau de la gouvernance, notamment “en laissant le monde réel disposer d’une voix” quand elle a principalement consisté à s’appuyer sur le vote des détenteurs de tokens.

L’acteur de la DeFi promeut un modèle « multi-parties prenantes » en s’inspirant des organisations politiques et économiques, comme la SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif).

Donner un statut clair à la DAO constitue un véritable challenge. Cette étape est cruciale pour répondre à des questions très concrètes : une DAO doit-elle disposer d’un numéro SIRET ou de TVA ? Comment paie-t-elle des impôts ? Etc.

Pour Marc Zeller, ces aspects sont critiques si la DeFi espère s’extraire de son « vase-clos » pour intégrer l’économie réelle. « Pour y parvenir, il va falloir rentrer un peu dans les cases ». Un cadre est nécessaire, mais il ne doit pas tuer l’innovation, exhorte-t-il.

L’état de premier plan qui offrira un cadre relativement intelligent à ce qu’est une DAO en tant que personne morale (…) pourrait bien récupérer l’ensemble du marché mondial dans la semaine. En tant que Français, j’ai l’ambition que la France continue d’être précurseur comme nous l’avons été avec la loi Pacte, le visa des ICO ou le régime PSAN”, appelle-t-il de ses vœux.

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Christophe Auffray
Cofondateur et rédacteur en chef adjoint - Journaliste spécialiste de la transformation numérique depuis 2005, Christophe a notamment été rédacteur en chef adjoint chez ZDNet. Il suit de près l’actualité autour des actifs numériques et la décrypte au quotidien. Contact : christophe@coins.fr