La filiale Asset Management de BNP Paribas travaille à la tokenisation des activités de marché et à la transition vers les security tokens. En 2023, les projets mettront l’accent sur la distribution. Témoignage de son Chief Digital & Data Officer.
Les grands acteurs français de la finance, comme leurs homologues américains, se préparent à la transformation de leurs activités traditionnelles par l’émergence de la blockchain et des tokens.
En 2022, Société Générale Securities Services lançait par exemple des services à destination des sociétés de gestion souhaitant lancer des fonds axés crypto-monnaie. Son premier client : Arquant Capital. Le concurrent du groupe SG, BNP Paribas, n’est pas resté inactif non plus.
Une volonté de traitement des tokens de bout-en-bout
BNP Paribas mène ainsi des expérimentations autour de la tokenisation d’obligation, comme avec EDF ENR. Mais il prépare également l’industrialisation du custody d’actifs numériques – notamment via un rapprochement avec Metaco.
Édouard Legrand, Chief Digital & Data Officer de BNP Paribas Asset Management, le confirme dans une interview à Coins.fr : la tokenisation est un chantier piloté au niveau du groupe.
Et celui-ci ne « s’aventure pas dans le monde des crypto-monnaies, de tout type. Il n’y a pas de projet dans ce domaine ». L’acteur bancaire se concentre sur les security tokens afin « d’expérimenter et innover autour de notre business model », précise le CDO.
La banque française associe donc ses différentes entités, et en particulier CIB (Corporate & Institutional Banking) et BP2S (Securities Services). Ce fut d’ailleurs le cas dans le cadre du projet de tokenisation conduit l’année dernière avec EDF. La finalité : « disposer d’une capacité à être plus impactant sur la chaîne opérationnelle ».
La blockchain permet des usages multiples. Cependant, si vous ne couvrez qu’une partie de votre chaîne opérationnelle via la blockchain, l’intérêt est assez limité. Notre approche vise donc à proposer, au niveau groupe, du bout-en-bout pour les investisseurs », justifie Édouard Legrand.
Raccourcir les temps de traitement et réduire les coûts
En ce qui concerne strictement l’asset management, deux volets sont prioritaires pour BNP Paribas Asset Management. Le premier a été abordé en 2022 avec une filiale d’EDF : la tokenisation d’actifs. D’autres projets futurs se préparent dans ce secteur. L’entreprise ne souhaite pas apporter de précision à ce stade.
La tokenisation consiste donc à offrir l’accès à des actifs sous un format tokenisé. Les travaux dans ce domaine tiennent principalement de la recherche & développement. Ils visent en priorité à « dégager de l’efficacité opérationnelle et à raccourcir les temps de traitement », déclare le Chief Digital Officer.
La tokenisation peut aussi être l’opportunité d’industrialiser le traitement de certains produits financiers ou « projets de taille plus réduite ». L’initiative pilotée pour EDF ENR portait ainsi sur une obligation non cotée. Celle-ci a associé plusieurs acteurs et filiales de BNP Paribas.
Ainsi, EDF ENR a confié dans ce cadre l’émission de l’obligation à BNP Paribas CIB, qui a émis un titre sous un format tokenisé. « En tant qu’asset manager, c’est-à-dire investisseur , nous avons acheté le token pour le placer dans un de nos portefeuilles et ainsi tester son intégration ».
La conservation enfin était assurée par BNP Paribas Securities Services, « son métier traditionnel. Nous sommes un groupe financier. Chacun travaille avec les autres pour nous permettre de ne pas être disruptés ».
Faire cohabiter deux formats de titres, classique et tokenisé
La finalité pour AM consiste à s’assurer qu’un portefeuille puisse embarquer simultanément des titres aux formats classique et tokenisé – « et dans un futur plus lointain à proposer un portefeuille complètement tokenisé ».
L’asset manager doit dans ce cadre garantir une même qualité de service, quel que soit le format du titre. A l’avenir, la tokenisation pourrait être l’opportunité d’implémenter un supplément de valeur pour le client.
La plus-value de la tokenisation réside aussi dans un second volet du métier de l’asset management, à savoir la distribution. L’achat d’une part de fonds par un client pourrait être accéléré, là où il faut compter plusieurs jours pour l’investisseur aujourd’hui.
Le travail sur le règlement/livraison peut permettre de raccourcir le cycle de gestion grâce à la blockchain. Aujourd’hui, la valorisation de la plupart de nos fonds est réalisée quotidiennement. On pourrait imaginer offrir du J+1 à la place de J+2, par exemple. Se rapprocher du temps réel est envisageable. »
Cette capacité « à comprimer le temps représente une des grandes promesses qu’on peut attendre des projets » blockchain, souligne Édouard Legrand. Et c’est sur cet axe que BNP Paribas Asset Management compte concentrer ses efforts en 2023. « C’est notre gros enjeu », nous précise-t-il encore.
Des tests sur la distribution en 2023/2024
La filiale de gestion priorisera « les actifs traditionnels » et comparera les traitements pour une classe d’actif standard sur des systèmes classique et blockchain. La finalité : « mesurer les écarts de temps de traitement et de coûts pour disposer d’une bonne base de comparaison. Il s’affirme plein de choses sur le marché. Mais tant que cela n’a pas été vérifié en conditions réelles, ces affirmations restent théoriques ».
Dans cette perspective, le gestionnaire d’actifs envisage une première expérimentation avec « un circuit relativement fermé », selon un modèle comparable à celui de 2022 avec EDF. « Si cela fonctionne bien, nous pourrons avancer avec des clients plutôt institutionnels dans un premier temps et partants pour tester avec nous », confie le Chief Digital & Data Officer.
Dans une approche itérative, les tests pourront ensuite être étendus auprès « d’un plus grand nombre de clients. La distribution constitue notre grand sujet pour les deux prochaines années ».
Cela passera par l’émission de tokens (équivalant à des parts de fonds) et la mise en place « d’une chaîne plus efficace ». Les bénéfices ne se situeraient pas uniquement du côté de l’asset manager. Pour Édouard Legrand, la blockchain pourrait se traduire aussi par une plus grande rapidité d’exécution des opérations d’investissement pour les clients.
L’asset manager et les dépositaires amélioreraient leur chaîne opérationnelle en proposant sous format token le même niveau de service, mais à un coût moindre. Le client bénéficie d’un meilleur time-to-market, voire d’un accès à des titres compliqués d’accès sans la tokenisation, comme du non coté par exemple. »
Intérêt pour la tokenisation des fonds monétaires
La tokenisation, à une échelle de temps qui reste à définir, pourrait aussi rimer avec la démocratisation de certains produits financiers au travers d’un « parcours digital refondu » car reposant sur une nouvelle chaîne opérationnelle.
Une telle perspective ouvre-t-elle aussi la possibilité de rendre liquides des produits plus ou moins liquides aujourd’hui ? Édouard Legrand se veut prudent. Déjà « très liquides, les fonds monétaires intéressent particulièrement les corporates (…) L’idée est de se rapprocher du temps réel ».
La tokenisation ne devrait cependant pas permettre de rendre liquide un actif dont le sous-jacent ne l’est pas.
Ce qu’on peut proposer, c’est une plus forte accessibilité pour des classes d’actifs auprès de certaines catégories d’investisseurs. Néanmoins, des limitations persisteront tenant aux caractéristiques du marché ou de l’instrument financier manipulé », conclut l’expert.
Et l’immobilier en est une illustration, malgré les espoirs et projets entretenus autour de sa tokenisation. En conséquence, la tokenisation s’accompagne de beaucoup de promesses, demeurant à concrétiser.
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