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Tokenisation de l’immobilier : qui posera la première pierre ?

Tokenisation immobilier
Crédit : Shutterstock

Cessions de parcelles dans le metaverse, transaction immobilière physique réglée en crypto-monnaies, appartement transformé en NFT… le Web3 s’intéresse de près à l’immobilier. La tokenisation de ces biens tarde cependant. Explications.

 

Le sujet de la tokenisation de l’immobilier n’est pas nouveau. Il compte ses précurseurs en France, parmi lesquels Equisafe ou Mata Capital. La société de gestion immobilière procédait en 2019 à une première tokenisation d’un actif immobilier. Plusieurs opérations sur le territoire et à l’international ont par ailleurs combiné technologies Web3 et biens immobiliers.

C’est ce que rappelait Marine Parmentier, avocate associée, à l’occasion d’un webinaire organisé par l’ACE et intitulé « Immobilier et métaverse : chimère ou réalité ». Ainsi, la première transaction blockchain en France, de plusieurs millions d’euros, était réalisée en 2019 via Equisafe.

Un marché immobilier qui attise les appétits

Au Portugal en 2021, le développeur Prometheus a vendu deux propriétés via des cryptomonnaies pour une valeur de plus de quatre millions d’euros. La même année, la startup américaine Propy a mis en vente le premier appartement réel via des NFT », cite l’avocate.

Ce même bien était déjà acquis en 2017 par le biais de cryptomonnaies et de smart contracts. Ces opérations d’un genre nouveau ne sont cependant pas le monopole d’acteurs technologiques. Ainsi, en 2022, l’agence Barnes signait sa première vente en stablecoin, en l’occurrence l’USDC.

Depuis 2020 et 2021 et l’émergence de plateformes métaverse Web3 se développent également de nouvelles transactions portant cette fois sur des parcelles virtuelles. Plusieurs entreprises françaises, comme Carrefour, Axa ou Casino, détiennent des biens numériques de cette nature, des NFT.

L’immobilier, dont le marché est évalué à près de 4 fois le PIB mondial, est-il à l’aube d’un bouleversement ? Pour les juristes et avocats, le seul segment de l’immobilier virtuel s’avère « assez déconcertant », concède Marine Parmentier. « Un nouveau monde et vocabulaire s’ouvrent à nous ».

Des parts de sociétés immobilières et non de biens

La terminologie et le droit n’évoluent cependant au même rythme. La commission d’enrichissement de la langue française intégrait en 2017 les termes de chaîne de blocs, de preuve de travail et d’autres mots propres à l’univers sémantique du Web3.

En droit français, les évolutions sont minces en revanche puisqu’il faut se référer à la loi Pacte de 2019, qui de plus encadre essentiellement le volet monétaire.

Et en matière de jeton, un appartement ou une maison sera représenté par un token non fongible, car unique « et éventuellement fractionnaire », représentant ainsi des parts du SCPI, indique Sébastien Choukroun, Blockchain Advisor de Wakam et co-fondateur de MGH Protocol.

Arthur Cazalet, notaire associé chez Screeb Notaires, précise par ailleurs que le jeton figure dans le code monétaire et financier (CMF). Ainsi, le token est représenté sur le DEEP (Dispositif d’Enregistrement Electronique Partagée) et relève des biens incorporels équivalant à « un ou plusieurs droits ».

Cette définition ouvre « un vaste terrain de jeu », relève le notaire, estimant que le droit pourrait désigner un droit de propriété d’un bien immobilier – comme un « droit hypothétique à une récompense ».

Autre précision apportée par Florian Freyssenet, fondateur de TokenLand, « la grande majorité des projets qui se lancent sur de l’immo reposent sur des security tokens ».

NFT, security token, utility token : quel jeton pour l’immobilier ?

Un acteur comme Propi développe en outre un jeton de gouvernance, un utility token, permettant aux détenteurs de régler certains actes, dont les frais de transaction. Toutefois, l’utility token n’a pas comme sous-jacent un actif immobilier.

Ces tokens sont-ils la promesse d’une révolution immobilière ? La réponse est complexe. L’entrepreneur signale en effet « qu’on ne peut pas tokeniser de l’immobilier en soi en France. On tokenise une société qui comprend de l’immobilier ». C’est la résultante de la législation. Et l’ajout de jetons fait émerger des problématiques.

L’émission d’un bien sur la blockchain et le découpage en multiples jetons, représentatifs des actions d’une SCI ou SARL immobilière se traduira par le paiement de droits d’enregistrement de 5% ou 25€ minimum.

« On réfléchit donc à d’autres modèles, comme ceux de l’obligation et de fiducie », déclare le co-auteur du rapport « Immo 3.0 : de la pierre papier à la pierre crypto », qui rappelle aussi les difficultés actuelles sur la gestion de security tokens au secondaire.

Les réflexions sont intéressantes, mais aujourd’hui, sur le marché secondaire, des problèmes empêchent de s’échanger des security tokens sur la blockchain en France. Mais de grands acteurs se lancent, dont des filiales issues de la DeFi, comme Uniswap. Ils mettent sur pied des places de marché d’échange de security tokens », témoigne Florian Freyssenet.

La promesse d’un supplément de liquidité pour l’immobilier

Une fois l’obstacle du secondaire franchi, il pourrait être possible de « faire bouger les régulateurs ou quelques décideurs ». A la clé surtout, une plus grande fluidité du marché immobilier, apportant des bénéfices en termes de liquidités.

Ce serait aussi la possibilité « à l’étranger et pour un certain nombre de Français l’opportunité de s’exposer à un marché auquel ils n’ont pas accès et qui demain sera certainement plus liquide ».

Sébastien Choukroun apporte quelques réserves néanmoins, rappelant notamment que le marché immobilier, à l’image des marchés financiers en général, n’est pas « global ». Impossible donc d’envisager se constituer un portefeuille diversifié dans l’immobilier à l’échelon mondial.

Il n’est pas réaliste d’imaginer acquérir un bien pour quelques centimes de frais, ne serait qu’en raison des frais de notaire », prévient l’expert.

Les usages de tokens immobiliers dans la DeFi, par exemple pour une utilisation en tant que collatéral pour obtenir du capital, ne sont pas pour tout de suite. Les investisseurs doivent pour ces opérations se tourner vers des banques et les processus sont plus longs et dépendants de la banque sélectionnée.

La tokenisation de l’immobilier est ainsi « porteuse de beaucoup de promesses, mais de nombreux outils manquent pour concrétiser cette vision, si elle est pertinente, en réalité ».

Les teneurs de l’immobilier ne sont pas prêts pour le wallet

La tokenisation est un sujet récurrent depuis quelques années, tendant à redevenir d’actualité en bull market, avant d’être occulté en bear. Il n’est donc plus une priorité dans le cycle actuel d’hiver crypto. Et les freins, comme la complexité du processus d’émission, ne favorisent pas le développement du marché.

De plus, les grands de l’immobilier, tels que Amundi et Rothschild, ne disposent pas de wallets qui leur permettraient d’interagir avec des tokens de ce type, restreignant par conséquent le secondaire. Dès lors, observe Sébastien Choukroun, les acteurs en France sont « en pause » sur l’immobilier.

« Il y a une vraie excitation du secteur de la blockchain, et pas nécessairement des gros institutionnels », réagit Arthur Cazalet, qui s’interroge sur les prochaines initiatives et leurs auteurs.

On nous vend la tokenisation immobilier depuis 2015 et il faut bien le reconnaître, il ne s’est pas passé grand-chose depuis », reconnaît quant à lui Florian Freyssenet.

Il se veut cependant optimiste grâce au mouvement croissant des institutionnels en faveur de la tokenisation dans son ensemble. Il cite notamment KKR, qui tokenisait un fonds privé sur Avalanche en septembre. Récemment, Laurence Fink, PDG de BlackRock, soulignait l’importance de la tokenisation des titres.

En outre, « sur 2022, on estime à plus d’une centaine le nombre d’entreprises qui se sont lancées sur des sujets de tokenisation immobilière aux États-Unis. En France, on peut estimer leur nombre à une dizaine ». Florian Freyssenet compte sur cette dynamique pour faire enfin émerger des actions concrètes.

La fiscalité comme moteur de la tokenisation

Christian Mouchel, responsable de la commission immobilier de l’AFJE, « voit encore peu de droit » cependant, technologie et finance l’emportant sur ces enjeux. « Nous avons plus parlé du code des marchés financiers que du code civil ou de commerce ». Le droit fiscal est-il aussi en retard ?

Pour Stéphanie Némarq-Attias, avocate pour le cabinet Francis Lefebvre, la fiscalité joue un rôle majeur dans l’explosion potentielle d’un nouveau marché de l’immobilier 3.0.

La spécialiste identifie ainsi un « vrai blocage fiscal. Sans sécurité juridique et fiscale, il est difficile de développer un marché, quel qu’il soit ».

« La question de la fiscalité est centrale », insiste l’avocate.

Ce n’est cependant pas par l’immobilier que le débat émerge. Ainsi, ce sont les NFT dans l’art qui ont ravivé récemment les discussions. Le NFT doit-il être considéré comme un bien numérique ou un objet d’art ? Sa classification a des conséquences majeures en termes de fiscalité, notamment si le sous-jacent d’un NFT est de l’immobilier.

Dans l’immobilier, le thème de l’impôt et de son paiement surgit à plusieurs reprises, note Stéphanie Némarq-Attias. Selon la qualification (crypto-actif ou bien/droit immobilier), différents impôts sont impactés, liste-t-elle.

C’est le cas, par exemple, lors de l’émission de tokens (impôts sur les sociétés et TVA), d’un transfert (droits de mutation, imposition de la plus-value), de la perception d’un rendement (loyer, dividendes, intérêts fiscalisés), de la détention (IFI, impôts locaux) ou de donation-succession. Sur des biens virtuels, ces sujets prendront encore du temps également.

Vendre, acheter, louer ou faire de la multi-location dans le metaverse n’est peut-être pas une réalité aujourd’hui et pourrait davantage tenir de la chimère ou de l’effet de mode, mais l’avenir pourrait me faire mentir », commente en conclusion Marine Parmentier.

« La tokenisation de l’immobilier semble prendre une réalité plus palpable », ajoute l’avocate, anticipant de nombreuses discussions autour des enjeux fiscaux et juridiques.

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Christophe Auffray
Cofondateur et rédacteur en chef adjoint - Journaliste spécialiste de la transformation numérique depuis 2005, Christophe a notamment été rédacteur en chef adjoint chez ZDNet. Il suit de près l’actualité autour des actifs numériques et la décrypte au quotidien. Contact : christophe@coins.fr