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Avec PoCR, Crédit Agricole s’inspire de Bitcoin tout en changeant les règles

Guénolé de Cadoudal, Head of Digital Assets Group pour Crédit Agricole CIB
Guénolé de Cadoudal, Head of Digital Assets Group de Crédit Agricole CIB - © Coins.fr

Crédit Agricole, créateur avec SEB de la plateforme so|bond et d’une nouvelle blockchain Proof of Climate awaReness (PoCR) reprend le principe de compétition du PoW. Une différence de taille néanmoins : la concurrence par l’empreinte environnementale.

 

Début avril, deux acteurs de la finance traditionnelle, SEB et Crédit Agricole CIB, introduisaient la plateforme blockchain so|bond pour l’émission d’obligations au format numérique. Leur promesse, via un nouveau consensus de Proof of Climate awaReness (PoCR) : une solution durable et ouverte.

A l’occasion de la conférence DIMS 2023 de l’IMA, dont Coins.fr est le partenaire presse, Guénolé de Cadoudal, Head of Digital Assets Group pour Crédit Agricole CIB, est revenu en détail sur ce projet et les spécificités du PoCR [Ndlr : prononcez Poker].

De la blockchain finance positive pour le climat

L’ambition : « faire de la blockchain quelque chose d’utile pour le climat » et ainsi contrebalancer les critiques systémiques à l’égard de la consommation énergétique de cette technologie. Pour atteindre cet objectif, CA CIB a donc créé une nouvelle blockchain (compatible Ethereum).

Le projet est en open source et la banque espère convaincre des partenaires de la rejoindre pour poursuivre les développements. Des bases robustes sont néanmoins déjà définies. Elles sont nées d’une réflexion : « Que faire de plus sur une blockchain publique pour le climat ? ».

Ethereum a déjà en partie répondu à cette question en migrant du PoW au PoS, souligne Guénolé de Cadoudal. Les développeurs du nouveau réseau ont souhaité aller plus loin, tout en s’inspirant de l’existant et notamment du mode de fonctionnement du Proof-of-Work tel que mis en œuvre par Bitcoin.

Une blockchain publique, c’est une compétition entre les acteurs qui font tourner le réseau. Sur le PoW, la compétition se fait sur la quantité de calcul qu’on est capable d’injecter dans le réseau de manière à le sécuriser. En termes de sécurisation, le PoW est très performant », déclare l’expert.

Rémunération des nœuds selon l’empreinte environnementale

Cette approche présente cependant un inconvénient, à savoir un recours intensif à de la puissance de calcul et à des infrastructures émettrices de carbone. A ce « problème pointé du doigt », Crédit Agricole répond tout en conservant un mécanisme de compétition, dont l’efficacité a été démontrée.

Celui-ci persiste. Changent en revanche « les règles de la compétition ». Les opérateurs de nœuds sont ainsi mis en compétition sur la qualité de leur empreinte environnementale. Le principe consiste donc à encourager les participants à « être vertueux au niveau de leur système informatique ». Ils sont pour cela rémunérés par le biais d’un token natif, le CRC (Climate awaRenes Coin).

Sa distribution incite en outre les validateurs de la blockchain à améliorer le bilan carbone de leur informatique sous-jacente. Pour le soigner, la consommation d’énergie n’est pas le seul paramètre mesuré. L’empreinte de l’ensemble du hardware est prise en compte, et ce sur tout son cycle de vie.

« Une empreinte environnementale, c’est beaucoup plus qu’une empreinte carbone », insiste le responsable des actifs numériques. De multiples indicateurs, chacun ayant un impact sur l’environnement, sont pris en compte : la production de gaz à effet de serre, l’extraction des matières premières, l’énergie primaire consommée, la consommation en eau et sa pollution.

Une évaluation basée sur des standards

« Nous avons pris les quatre principaux indicateurs, soit ceux qui correspondent à 50% de l’ensemble de l’impact environnemental », justifie-t-il. En outre, le calcul de ce score ne porte pas uniquement sur l’usage.

Nous allons de la création du matériel informatique, c’est-à-dire la fabrication de ses différents composants, leur assemblage, le transport, l’utilisation dans les datacenters (…) et le recyclage. C’est ce qu’on appelle le life cycle assessment, défini par les normes ISO 14040 et 14044″, détaille Guénolé de Cadoudal.

Sur la base de ce système d’évaluation de l’empreinte d’un nœud, son opérateur va communiquer à un auditeur les spécifications de son système informatique – et les prouver. Chaque node se voit ainsi attribuer une note EF (environmental footprint) et tous sont mesurés selon une même méthodologie appliquée par des auditeurs indépendants.

La note obtenue détermine la position du nœud dans un classement et ainsi les CRC obtenus. La règle de répartition de la rémunération est détaillée dans le whitepaper du projet blockchain, librement accessible sur Github. Le premier en termes de ranking se voit attribuer une unité de token. Pour le second, c’est 0,9 à la puissance 2 (et puissance 3 pour le troisième, et ainsi de suite).

Des mécanismes de halving inspirés de Bitcoin

Afin de prévenir une trop forte croissance de la supply, c’est-à-dire de l’offre de jetons, la blockchain comporte des mécanismes de halving – un système appliqué notamment sur Bitcoin pour réduire les récompenses gagnés par les mineurs. « Ils vont un peu plus loin que le halving Bitcoin, mais ils en sont très inspirés cependant ».

En ce qui concerne la valeur du CRC, elle sera dépendante de l’offre et de la demande. « Elle correspondra finalement à la valeur intrinsèque du réseau blockchain et donc du service informatique offert par celui-ci ».

Crédit Agricole et SEB destinent la blockchain « plutôt aux grandes entreprises » désireuses de démontrer la nature éco-responsable de la technologie qu’elles exploitent. Cependant, le porte-parole de la banque n’exclut pas des usages par des particuliers.

Il ajoute que PoCR est basé sur un consensus de type proof of authority et le standard Ethereum – et donc EVM compatible. Son fonctionnement, qui implique une connaissance des nœuds, permet par ailleurs la maîtrise de l’origine des tokens. Cette caractéristique est primordiale pour un usage par des corporates.

C’est rassurant pour les grandes entreprises. Elles peuvent démontrer à leurs compliance officers l’origine du token acheté. Cela permet d’installer un cercle vertueux sur les transferts de jetons et la connaissance de leur cycle de vie. C’est donc une blockchain qui va intéresser les entreprises qui ont besoin d’être éco-responsables et conformes aux réglementations AML et de lutte contre le financement du terrorisme. »

Une gouvernance en mode DAO

La gouvernance enfin. Elle est là aussi inspirée des modèles en vigueur dans l’univers de la crypto. Pas de consortium privé comme cela est fréquent dans le monde de la blockchain permissionnée. « Crédit Agricole et SEB n’ont pas souhaité garder le contrôle ». A la place donc, une gouvernance de type DAO insérée dans le genesis bloc – une approche inspirée de Tezos.

Les droits de vote ne sont pas dépendants du nombre de tokens détenus. Ainsi, à chaque nœud équivaut un vote. Pour Guénolé de Cadoudal, « cela évite la concentration du pouvoir ».

Et compte tenu du consensus en vigueur de proof of authority, l’ajout d’un nœud nécessite l’aval d’une majorité de nœuds existants. Un mécanisme de réclamation de candidature et un protocole d’acceptation ont été conçus pour encadrer ce processus.

Cette blockchain n’a toutefois pas été développée « pour le plaisir ». Elle doit servir des cas d’usage. La technologie a été utilisée pour une émission obligataire en partenariat avec SEB et pour un client encore inconnu. Son identité sera communiquée d’ici l’été.

L’opération a consisté à émettre un green bond, ce qui était préférable avec une blockchain éco-responsable, argue le cadre de CA CIB. La banque et son partenaire se sont par ailleurs inspirés du framework CAST ouvert par Société Générale Forge afin de fonctionner en mode P2P, sans recours à des acteurs centraux.

Le régime pilote, une opportunité pour PoCR

Aucun des acteurs n’est central dans le dispositif. Le monde des émissions obligataires comporte plusieurs rôles [Ndlr : registrar, custodian, agent de paiement…]. Nous avons voulu que tous s’interfacent entre eux au travers d’un jeu de smart contracts. »

Plusieurs contrats sont impliqués. Le registre consiste en un smart contract « à durée longue. Il sera le même sur toute la durée de vie du bon ». S’y ajoutent des smart contracts satellites, qui sont « une façon d’agir sur le registre sans cependant que ce smart contrats soit sous l’autorité du teneur de registre ».

Ces contrats satellites interviennent par exemple lors d’un transfert – ce qui interdit, par rapport à un ERC-20 classique, la réception non sollicitée d’un token sur son wallet. Le contrat joue un rôle de contrôle et s’assurera notamment que les deux parties sont d’accord sur l’échange, ou encore sur le mode de paiement – qui pourra éventuellement s’effectuer en CBDC ou un stablecoin. Les évènements de type coupon ou rédemption s’effectueront de la même manière via des smarts contracts satellites.

PoCR

PoCR

Tous les composants logiciels de la V1 de la blockchain Proof of Climate awaReness (PoCR) sont disponibles en open source. L’objectif : inciter d’autres acteurs de la place financière à s’emparer du modèle et à y contribuer dans une logique communautaire. Autre ambition : pousser son usage dans les projets d’expérimentation menés dans le cadre du régime pilote.

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Christophe Auffray
Cofondateur et rédacteur en chef adjoint - Journaliste spécialiste de la transformation numérique depuis 2005, Christophe a notamment été rédacteur en chef adjoint chez ZDNet. Il suit de près l’actualité autour des actifs numériques et la décrypte au quotidien. Contact : christophe@coins.fr