Le bear market ne signe pas l’arrêt des projets, notamment de crypto-fonds. Cependant, l’adoption par les professionnels et la démocratisation doivent réunir de multiples facilitateurs. Témoignages de SGSS, Coinhouse, Arquant Capital et Osborne Clarke.
Les crypto-actifs peuvent-ils encore prétendre à trouver leur place dans les stratégies d’investissement ? Oui, selon Laurent Marochini, responsable de l’innovation de Société Générale Securities Services, qui animait le mois dernier une conférence de l’AM Tech Day consacrée à ce sujet.
Bien sûr, les perspectives sont moins favorables qu’elles ne l’étaient en 2020 et 2021. « Le marché de la crypto s’est effondré. C’est ce qu’on appelle le crypto winter », reconnaît le cadre de SGSS. La capitalisation évolue aujourd’hui sous 1000 milliards de dollars – contre près de 3 trillions lors du bull market.
Intégrer la crypto dans une logique patrimoniale long terme
Malgré cette baisse, l’engouement pour les crypto-fonds reste toujours élevé », juge cependant Laurent Marochini, qui comptabilise environ 850 fonds de ce type dans le monde, dont 50% basés aux Etats-Unis.
En Europe, c’est le Royaume-Uni et la Suisse qui en hébergent le plus. La France a encore un long chemin à parcourir pour devenir un hub européen de la finance crypto, malgré la création de plusieurs fonds spécialisés.
« Lancer un fonds crypto n’est pas si facile que cela », souligne le responsable innovation. « Rome ne s’est pas construite en un jour », ajoute le natif de l’Italie.
Coinhouse inscrit d’ailleurs son développement sur le temps long et ambitionne ainsi « de favoriser l’émergence de la crypto comme une classe d’actifs à part entière », déclare Maxime Alazet.
Pour le directeur des partenariats et de la distribution, un ancien de la TradFi, ce statut sera acquis « demain pour quasiment tout le monde. Nous en sommes convaincus ». Mais Coinhouse entend aussi contribuer à l’intégration des actifs numériques « dans une logique patrimoniale de long terme » via l’ajout de cryptos dans « différentes typologies de portefeuilles ».
Des prix ETH et BTC intéressants pour les fonds
Arquant Capital, qui lançait en septembre deux fonds crypto, prévoit lui aussi de favoriser l’adoption de la crypto. « Investis directement dans la crypto et gérés de manière dynamique », ces fonds BTC et ETH visent à faciliter la participation des investisseurs dans ces actifs via « des véhicules familiers », explique Eron Angjele, son CEO.
Faciliter donc, mais aussi accompagner professionnels et institutionnels sur la gestion de la volatilité, une spécificités des crypto-monnaies. Le bear ne risque-t-il pas de freiner ce mouvement ? Les niveaux de marché se prêtent au contraire à acheter du Bitcoin et au lancement de fonds, juge le dirigeant.
Les prix d’entrée sont très intéressants par rapport à ce qu’on a vécu. On sait en outre très bien que la technologie blockchain, le sous-jacent de la crypto, a un bel avenir devant elle. C’est un boulevard qui s’ouvre », soutient Eron Angjele.
Les porteurs de projets de crypto-fonds sensibles à ce discours doivent néanmoins garder à l’esprit que le « chemin est très compliqué […] Il a fallu trouver un dépositaire, le commissaire aux comptes, s’entourer de partenaires connaissant à la fois à la finance, l’asset management et la blockchain », signale notamment le fondateur d’Arquant Capital.
L’incontournable dialogue avec le régulateur
Autre facteur clé de succès de la mise sur orbite d’un fonds Bitcoin ou Ethereum : le dialogue avec le régulateur afin de lui présenter le projet, ses cibles, instruments et contreparties. C’est aussi faire la démonstration des capacités en matière de cybersécurité, critiques pour l’agrément, prévient Eron Angjele.
« Ce premier standard sur la place », tel qu’il le qualifie, pourrait constituer une base pour la création d’autres fonds et la démocratisation de l’investissement en crypto-actifs. C’est notamment ce qu’escompte SGSS, qui intervient notamment auprès d’Arquant comme valorisateur et dépositaire fiat via une nouvelle offre de services crypto.
Pour Karima Lachgar, associée et avocate au sein du cabinet Osborne Clarke, quel que soit l’ADN du porteur, startup crypto ou société de gestion en extension d’agrément, « le niveau de préparation est une constante » pour faire aboutir une telle initiative.
Il faut anticiper toutes les questions du régulateur et des parties-prenantes, dépositaire, valorisateur, exchange…”, précise-t-elle.
La spécialiste de l’industrie crypto identifie d’autres facteurs clés de succès principaux : la stratégie d’investissement (positionnement sur le marché et cible de clientèle); les workflows (avec les dépositaires et aussi les exchanges, dont tous ne sont pas ouverts à des développements pour accueillir des fonds).
Ouvrir l’allocation crypto à d’autres véhicules
Maxime Alazet souligne également l’importance de la proximité entre finance traditionnelle et finance crypto, « qui a vocation à s’institutionnaliser ». L’équipe de gestion doit aussi faire la preuve de sa compétence, notamment sur « le travail de recherche fondamental » sur l’intérêt des cryptos, sur la base de critères qualitatifs et quantitatifs.
La logique de distribution tient aussi un rôle central pour son responsable chez Coinhouse.
Le succès d’un fonds, c’est le produit d’abord, puis la distribution. Encore aujourd’hui, il peut être difficile de donner accès à des produits, qui méritent d’être dans des allocations à la plupart des investisseurs […] Mais les mentalités sont en train de changer.”
Laurent Marochini de SGSS retient par ailleurs l’importance de l’écosystème. La France offre-t-elle des atouts suffisants en Europe ? Karima Lachgar juge assez favorablement l’environnement hexagonal, a minima à niveau des plus matures que sont le Luxembourg ou l’Allemagne, par exemple.
« Il est crucial que le marché français pousse le régulateur à poursuivre sa réflexion, à externaliser sa doctrine et à permettre d’ouvrir l’allocation crypto à d’autres types de véhicules », encourage l’avocate.
Gagner aussi la guerre des talents
Eron Angjele juge aussi positivement l’implication du régulateur. Pour lui, l’accent doit à présent être mis sur l’adoption par les professionnels.
C’est maintenant qu’il faut le faire. Il y a une place à prendre […] Faisons en sorte que les crypto-actifs entrent dans les portefeuilles des investisseurs, les contrats d’assurance-vie, les catalogues de produits […].”
Le CEO d’Arquant constate que des conseillers en gestion de patrimoine profitent déjà de ses offres pour rajeunir leur clientèle. « Je le pense, mais je l’expérimente aussi : nous avons en France un très bon écosystème », conclut-il.
Des atouts donc, mais des difficultés qui persistent également, dont celle consistant « à faire comprendre l’enjeu long terme et techno de ce qu’est une crypto », rappelle Maxime Alazet. Lever cet obstacle passera par un travail continu de pédagogie auprès des différentes populations (retail, professionnelles et institutionnelles).
La démocratisation repose aussi sur le facteur humain. Or, recruter et former ces « expertises très pointues » demande des efforts. Il est néanmoins indispensable d’y consacrer des investissements sous peine de voir ces talents accaparés par les acteurs étrangers et de retarder le développement de la place française, met en garde Eron Angjele.
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