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Agrément PSAN obligatoire : l’amendement de la discorde

Senat
Crédit :Shutterstock

Le Sénat a voté un amendement modifiant le code monétaire et financier. Celui-ci prévoit d’imposer aux acteurs crypto de disposer d’un agrément au plus tard en octobre 2023. Une sanction pour les dérives de FTX ?

 

L’inquiétude des entreprises de la crypto était palpable depuis l’effondrement de FTX. Et les déclarations des politiques et des régulateurs alimentaient depuis cette crainte d’un durcissement excessif de la législation.

Le couperet est tombé une première fois cette semaine au Sénat au travers du vote d’un amendement dans le cadre de l’examen d’un projet de loi d’adaptation au droit de l’Union européenne.

Un agrément obligatoire dès 2023

C’est dans ce cadre que les sénateurs ont adopté une modification du code monétaire et financier. Jusqu’à présent, les acteurs des crypto-actifs étaient soumis à un agrément optionnel, plus contraignant que l’enregistrement.

A ce jour, aucune entreprise ne dispose d’un agrément PSAN délivré par l’AMF. Le Sénat souhaite le rendre obligatoire à compter d’octobre 2023, au plus tard, pour tous les prestataires de services sur actifs numériques.

Une sanction pour l’industrie française de la crypto, dénoncent ces entreprises par l’intermédiaire notamment de l’Adan. Ces dernières s’estiment injustement punies pour les actes d’une plateforme offshore.

Si la volonté de protéger les utilisateurs est légitime et louable, rendre l’agrément obligatoire ne les aurait certainement pas protégé d’un FTX. Faute d’harmonisation a minima au niveau européen, c’est même tout le contraire », écrit l’association.

Une punition pour les entreprises « les plus vertueuses »

Acculer les entreprises les plus vertueuses n’aura qu’une conséquence : les pousser à partir ou mettre la clé sous la porte tandis que les utilisateurs pourront se tourner vers leur désormais seule option, les acteurs étrangers peu ou pas régulés », regrette encore l’Adan.

Ce n’est cependant qu’un acte d’une pièce de théâtre qui en compte plusieurs et dans laquelle le gouvernement a manqué à ses promesses. Bruno Le Maire annonçait en octobre des adaptations législatives pour 2023, notamment sur la fiscalité.

Des amendements parlementaires en ce sens ont reçu un « avis défavorable » du gouvernement, observe pourtant l’industrie crypto. « Toute intention sérieuse d’agir contre les incertitudes juridiques et fiscales qui pèsent sur les contribuables et les entreprises des crypto-actifs a été renvoyée aux calendes grecques ».

Mais c’est l’imposition de l’agrément qui pourrait porter le coup le plus dur au secteur français des crypto-actifs. D’autant que le régulateur serait déjà en sous-effectif. En outre, des entreprises, sans autorisation, proposent leurs services en France « sans jamais être inquiétées ».

Une application « impossible » et « ubuesque »

Les « failles – elles – ne manquent pas », souligne l’Adan. Et ce n’est pas à celles-ci que le législateur s’attaque aujourd’hui en prenant prétexte du scandale FTX pour définir de nouvelles obligations jugées déséquilibrées.

Surtout, considère Ronand Journoud, avocat pour AdWise Avocats, l’amendement adopté au Sénat est simplement inapplicable.

Sans l’agrément, il ne sera pas possible d’exercer. Or, il est très compliqué, cher et long à obtenir. L’AMF ne dispose absolument pas du personnel pour traiter toutes les demandes d’agrément qui vont tomber. »

Ainsi, poursuit-il, « si l’amendement passe, les conséquences seront importantes (…) Il ne faudrait pas qu’une réaction à l’affaire FTX soit préjudiciable au secteur », réagissait-il le 14 décembre lors d’une Matinale de la DeFi organisée par Finance Innovation.

Le juriste, qui accompagne des entreprises du secteur, précise qu’un agrément est une procédure à la fois coûteuse (100.000 à 150.000 euros) et contraignante. Elle impose par exemple des critères de solvabilité, d’assurance et de fonds propres.

L’agrément impose des modes d’organisation et des critères financiers extrêmement lourds, et notamment une assurance responsabilité civile. Mais celle-ci est très compliquée à obtenir », cite par exemple Ronand Journoud.

Des contraintes ciblées sur les géants seraient préférables

MiCA prévoit de faire évoluer les PSAN vers cet agrément, mais à une échéance plus éloignée que l’amendement voté au Sénat. Pour le juriste, ce vote est de toute façon impossible à mettre en œuvre, voire même « ubuesque ». De plus, ajoute-t-il, il favorise in fine les grandes plateformes.

La mesure privilégie les gros, les très gros. Il serait préférable de définir des seuils pour permettre aux entrepreneurs de se développer jusqu’à un certain niveau (…) Cela n’exposerait pas à un risque systémique (…) Bien sûr il faut réguler les grands qui présentent un tel risque. Et là, il ne faut rien leur laisser passer », préconise-t-il.

La position gouvernementale, dans ce contexte de crise et après avoir longtemps hésité à soutenir l’écosystème crypto, semble de nouveau s’infléchir pour établir une plus grande distance.

Il se rangerait alors derrière la ligne soutenue par les institutions monétaires comme la BCE ou le FMI, malgré ses ambitions en faveur d’un hub crypto français. Les promesses politiques seraient-elles, elles aussi, sensibles au bear market ?

Pour faire de notre pays le camp de base en Europe de la crypto, il semble donc qu’il vaille mieux démanteler l’industrie nationale à coups de mesures restrictives que de la protéger contre la concurrence déloyale », s’emporte l’Adan de son côté.

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Christophe Auffray
Cofondateur et rédacteur en chef adjoint - Journaliste spécialiste de la transformation numérique depuis 2005, Christophe a notamment été rédacteur en chef adjoint chez ZDNet. Il suit de près l’actualité autour des actifs numériques et la décrypte au quotidien. Contact : christophe@coins.fr