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Financement des startups françaises Web3 : le parcours du combattant ?

Matinale DeFi de France Innovation
Matinale DeFi de France Innovation

Le bear market complexifie les levées de fonds des startups Web3 et les investisseurs donnent la priorité à certains domaines plus matures. Les entrepreneurs doivent aussi maîtriser les aspects juridiques et réglementaires. Et entre equity et tokens ? C’est un débat.

 

A l’occasion de l’inauguration en octobre de la NFT Factory, Jean-Noël Barrot, Ministre délégué chargé de la Transition numérique et des Télécommunications, faisait part des projets du gouvernement à l’égard du Web3.

« Nous avons l’ambition, avec le président de la République et avec le gouvernement, d’en être à l’avant-garde », déclarait-il. Les conditions de financement de cette industrie se sont largement durcies, plus encore depuis la faillite de FTX.

Des levées Web3 françaises à succès

La France compte néanmoins plusieurs opérations réussies en 2022, dont Kiln, Tropee, METAV.RS, Arianee, Dfns, Immortal Game ou Morpho et Dogami tout récemment. D’autres projets peuvent-ils, malgré les conditions de marché, encore espérer convaincre des investisseurs ? Réunis lors d’une Matinale DeFi de Finance Innovation, plusieurs experts éclairent cette problématique.

Ainsi, il leur est toujours possible de se tourner vers Bpifrance. Ce n’est toutefois pas la première option à envisager.

Nous recommandons aux porteurs de projets de s’adresser à des fondations crypto, qui comprennent les projets et font preuve d’une vraie réactivité. Elles peuvent financer en moins d’un mois », déclare Ivan de Lastours, blockchain Lead chez Bpifrance.

Bpifrance propose, en complément, des produits de subvention et de prêt bancaire dédiés à l’innovation, ainsi que des produits d’investissement en equity. L’organisme sera prochainement en capacité aussi d’investir en tokens.

Il ne faut pas se focaliser sur Bpi. Le financement public doit être vu comme complémentaire », prévient-il.

Particularité du Web3, le secteur intègre une palette d’outils de financement : prévente de tokens, mixte equity-tokens, etc.

« Un entrepreneur doit être à l’affût des nouvelles méthodes. Nous assurons le volet old-school, mais il demeure valable », commente l’expert de Bpifrance.

Equity, tokens ou les deux ? Un choix qui fluctue

Marion Peresse-Brilleaud, juriste d’affaires pour L.co Avocat, accompagne les entrepreneurs crypto fintech dans leurs levées de fonds. Elle observe deux grandes typologies d’investisseurs, dont ceux décidés à s’investir dans le projet. L’investissement peut s’opérer classiquement en equity, mais pas uniquement.

Le gage de l’investisseur, c’est l’achat de tokens. Sur des sociétés un peu plus matures, on a de plus en plus un mixte, même pour certains fonds, avec des entrées et en equity et en tokens. C’est une révolution, y compris pour les fonds », note-t-elle.

Ces évolutions nécessitent cependant d’être accompagnées de la « mise en place d’outils spécifiques d’investissement ou de financement à la frontière entre les outils classiques maîtrisés par les investisseurs et des outils Web3, plus rapides ».

Cette formule ne convainc pas tous les acteurs. Réda Berrehili, cofondateur et CEO de la plateforme d’investissement Klub, se dit clairement hostile aux deals combinant equity et tokens.

Je trouve un peu hypocrite de créer un token, d’encourager à l’acheter et derrière de vendre de l’equity (…) Cela débouche sur un désalignement d’intérêts puisque la valeur va se concentrer dans l’equity », précise-t-il.

Et pour le dirigeant, cette pratique traduit un manque de confiance dans les tokens, l’equity intervenant pour rassurer les investisseurs. La complexité de la crypto et du Web3 nécessite de mener un travail d’acculturation afin de favoriser l’usage de nouveaux leviers de financement.

Des investisseurs et fonds à rassurer et acculturer

Réda Berrehili défend un modèle décentralisé de partage de valeur.

Il est injuste, quand une entreprise dégage de la valeur lors d’un événement de liquidité, que seuls les fondateurs et investisseurs en bénéficient », justifie-t-il en référence « au modèle capitaliste actuel qui atteint ses limites ».

Marion Peresse-Brilleaud propose une analyse plus nuancée à l’égard du mixte equity/token, corrélé à la nature des investisseurs et à la phase d’investissement. Ainsi, très en amont, les business angels privilégient les tokens en raison de leur connaissance de l’écosystème et des technologies.

Pour les investisseurs de type fonds, deux problématiques surgissent selon la juriste : la temporalité et la pédagogie. L’objectif est de rassurer pour répondre aux enjeux de financement à court terme des entreprises Web3.

Les entrepreneurs n’ont pas toujours ce temps-là pour expliquer, faire de la pédagogie sur le financement en tokens (…) Les fonds classiques ont l’habitude d’investir sur des mécanismes qu’ils connaissent et il est donc plus rapide pour eux d’investir en equity. »

Réda Berrehili le reconnaît et l’explique par un manque de « framework de gouvernance pour les projets tokens ». Les fonds sont ainsi freinés dans l’investissement en jetons. Et l’absence de dépositaires en France pour les tokens conduit également à privilégier l’equity.

Nous n’avons pas l’offre technique pour accompagner les fonds. Et le sujet dépositaire est majeur pour la place en France« , confirme Elodie Trevillot, directrice régulation et conformité pour Banque Delubac & Cie.

Un cadre de gouvernance nécessaire pour l’investissement en tokens

Les dépositaires, des filiales de groupes bancaires, ne sont pas encore prêtes à fournir des solutions adaptées. A cet aspect s’ajoute celui du « cadrage réglementaire », qui doit apporter aux investisseurs potentiels des garanties en termes de conformité avec la régulation.

On a cette chance en Europe et en France d’être parmi les plus avancés en matière de réglementation », signale la juriste.

Frédéric Montagnon, fondateur et président de la startup NFT Arianee, partage cette analyse. Il encourage d’ailleurs les entrepreneurs à s’intéresser aux actions des régulateurs afin de s’aligner avec leurs attentes. La construction de produits alignés sur ces attentes constitue une « opportunité business extraordinaire », considère-t-il.

Avec MiCA, les entrepreneurs bénéficieront d’une « stabilité réglementaire » pour plusieurs années, ajoute Ivan de Lastours. « Trois ans de stabilité réglementaire en crypto, cela vaut de l’or pour tout entrepreneur », clame-t-il.

Et cela vaut donc aussi pour les investisseurs intéressés par cette industrie, dont Marguerite de Tavernost du VC Cathay Ledger Fund. Mais ces derniers doivent aussi composer avec le bear market, dont les impacts sont multiples, et parfois positifs.

Des décisions motivées par le time-to-market et l’équipe

Le bull run obligeait à d’importants compromis sur le travail de due diligence, témoigne-t-elle. Le bear autorise au contraire à approfondir l’analyse des sociétés. Le crypto winter change toutefois la nature des secteurs ciblés par les VC.

Nous portons plus d’importance à la maturité des secteurs et à leur adoption par les consommateurs (…) Le bear, FTX et ce qui en découle retarderont potentiellement l’adoption de certains aspects du Web3″, déclare la professionnelle de l’investissement Web3.

Celle-ci s’attend à un renforcement du côté des infrastructures et de l’expérience utilisateur.  Résultat, un intérêt moindre désormais pour le métaverse.

Nous irons moins rapidement sur le métavers car nous pensons que l’adoption prendra plus de temps », ajoute la représentante de Cathay Ledger Fund, un fonds Web3 de 100 millions d’euros.

Le time-to-market constitue donc un enjeu plus important aujourd’hui pour les porteurs de projets. Un critère reste prépondérant pour le seed et les séries A : l’équipe.

« L’équipe, c’est 90% de la décision », déclare Marguerite de Tavernost. Sur un marché « immature» , la compétence de l’équipe est ainsi essentielle pour déterminer sa capacité à se réinventer et à opérer des pivots.

Opportunité du bear market, il permet « un écrémage » parmi les entrepreneurs, avec un tri des « opportunistes qui avaient vu dans le Web3 l’opportunité de capturer de la valeur financière ».

Bpifrance se met à l’heure du Web3

Pour le blockchain lead de Bpifrance, l’Hexagone dispose d’un écosystème « fort » grâce à la multiplicité et la complémentarité des acteurs qui le composent (startups, associations, comptables spécialisés, fonds grands groupes, etc.). Des améliorations sont cependant nécessaires, dont le custody des fonds, rappelle-t-il.

Nous travaillons dessus avec Bercy depuis plus d’un an. D’ici 6 mois, nous devrions en principe disposer d’une solution », fait-il savoir.

Bpifrance mène par ailleurs des chantiers de modernisation internes de ses systèmes afin, par exemple, de participer au régime pilote DLT. En outre, Bpifrance veut gagner en « célérité » sur l’investissement en se dotant de la capacité d’investir dans des tokens.

Ce projet s’inscrit dans le cadre de la création d’un fonds Web3 et « d’une roadmap ambitieuse ». Bpifrance pourrait ainsi créer de nouveaux métiers pour accompagner ce fonds, dont ceux de trader et de yield manager.

La roadmap est assez claire. C’est l’exécution qui est compliquée. Cela demande de l’investissement, de l’adaptation, des changements dans les métiers… une ouverture d’esprit de la part de certaines personnes. Mais des départements comme la compliance et le juridique jouent réellement le jeu », se réjouit Ivan de Lastours.

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Christophe Auffray
Cofondateur et rédacteur en chef adjoint - Journaliste spécialiste de la transformation numérique depuis 2005, Christophe a notamment été rédacteur en chef adjoint chez ZDNet. Il suit de près l’actualité autour des actifs numériques et la décrypte au quotidien. Contact : christophe@coins.fr