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Sur la crypto, entreprises et autorités françaises sont-elles toujours en phase ?

Faustine Fleuret, présidente de l'Adan - Coins.fr ©

L’Adan prône une transition en douceur vers MiCA via une clause du grand-père de 18 mois, un facteur clé pour la réussite collective des acteurs français sur le Web3. Pour l’AMF, les premières préoccupations sont l’harmonisation et la protection des investisseurs.

 

Faustine Fleuret, la présidente de l’Adan, l’Association pour le développement des actifs numériques, sait sans conteste ménager ses interlocuteurs au gouvernement. Plus tôt ce mois-ci, à l’occasion de la conférence Fintech 3.0, la dirigeante s’est félicitée du rôle joué par la France dans le domaine de la crypto au travers de la « construction d’une rampe de lancement ».

Alors que le reste du monde avance à tâtons, la France portée par un gouvernement volontaire, des parlementaires combatifs, des administrations inventives, et surtout un écosystème dynamique, a su s’extraire de la mêlée afin de donner toute sa chance à l’innovation », a déclaré Faustine Fleuret, vantant ainsi les mérites de la loi Pacte, le 18 octobre dernier.

Préserver un équilibre entre innovation et protection

Ce pilier a permis l’enregistrement d’une centaine de PSAN – mais un seul agrément, SG-Forge. Ce bilan justifie d’octroyer à la France le statut de pays « en avant-garde sur la régulation ». Il est vrai que le dispositif français a largement inspiré le règlement européen MiCA.

Mais si la loi Pacte mérite tant de louanges de la part de l’Adan, c’est en raison de sa caractéristique première : « un subtil mélange entre protection des utilisateurs et développement de la technologie », considère Faustine Fleuret.

Et si la présidente de l’association fait ainsi la promotion de l’approche politique mise en place sous les gouvernements Macron, c’est notamment pour prêcher en faveur d’une même trajectoire pour les dossiers en cours : les NFT monétisables, l’identité numérique, le passeport numérique des produits ou encore la DeFi.

« Une bonne réglementation », c’est-à-dire « qui porte ses fruits », se doit ainsi d’être « adaptée aux modèles d’affaires et équilibrée dans ses obligations », soutient la dirigeante.

Les PSAN français ont besoin de temps et plutôt 18 mois de clause

MiCA répond-il à ces caractéristiques ? Il est en tout cas décrit comme « le prolongement du pari français » et potentiellement le moyen pour les PSAN et les entreprises établies sur le territoire de bénéficier « d’un coup d’avance ».

Pourquoi ? Car elles auront eu le temps d’apprendre, d’étaler les coûts d’une mise en conformité, notamment pour les jeunes pousses, justifie ou conditionne Faustine Fleuret. Et pour réussir cette transition d’un cadre français vers une version européenne, « qui peut constituer une marche très haute », elle promeut une clause du grand-père de 18 mois plutôt que de 12.

L’Autorité européenne des marchés financiers, l’ESMA, encourage cependant les États membres à limiter cette période de transition à 12 mois en ce qui concerne l’application de MiCA. Faustine Fleuret espère des autorités françaises une rallonge, jugeant « le temps de l’apprentissage » clé pour la réussite collective de la France. Le risque sinon ?

Après avoir laissé passer le train de l’information, souhaitons-nous laisser passer celui de l’internet de la valeur ? », résume-t-elle d’une question. Il en va de la puissance économique de la France, et par ricochet de sa puissance politique, poursuit-elle.

Des doutes, mais venus de l’étranger

La dirigeante de l’Adan ne passe pas sous silence les doutes qui pèsent sur l’industrie crypto actuellement.

Des faillites étrangères ont eu des conséquences systémiques et ont entravé la confiance dans le secteur », indique-t-elle notamment.

« Serait-il bien raisonnable de tirer un trait sur cette innovation technologique majeure ? », interroge-t-elle, mettant en garde contre une victoire des doutes. Sans que cela ne soit évoqué, le secteur en France souffre aussi d’autres facteurs, comme l’image dégradée de Binance, membre du board de l’Adan depuis juin.

Rappelons que l’exchange est sous le coup d’une enquête pour blanchiment dans l’Hexagone, outre des poursuites aux États-Unis, y compris contre son CEO, CZ.

Les autorités françaises de la finance ont en tout cas montré le 16 octobre, lors d’un événement organisé par l’ACPR, qu’elles étaient pas imperméables aux doutes.

Le monde crypto a radicalement changé pour l’AMF

Son président François Villeroy de Galhau, également gouverneur de la Banque de France, appelle ainsi à avancer sans plus tarder sur MiCA 2, qui portera en particulier sur les conglomérats crypto et la DeFi. Depuis 2022, le ton a aussi changé du côté de l’AMF, comme le discours de sa présidente Marie-Anne Barbat-Layani l’illustrait en octobre.

« Nous ne pouvons que constater que le monde des crypto-actifs et sa perception ont, il faut en prendre acte, radicalement changé en un an », déclarait-elle. Et ce changement appelle donc à une évolution réglementaire proportionnée.

Les débats internationaux accélèrent en vue d’une régulation plus stricte dans l’ensemble des juridictions », rapporte la patronne de l’AMF.

L’écosystème crypto est par ailleurs attendu sur plusieurs fronts, dont sa capacité à respecter la réglementation et à démontrer davantage son utilité économique et sociale.

Si Faustine Fleuret est convaincue de cette utilité et de la nécessité pour l’économie française de prendre le train du Web3, le régulateur pointe lui les doutes qui fracturent cette industrie.

Et l’AMF n’entend pas se contenter de déclarations. L’Autorité attend des mesures chiffrées sur la contribution à l’économie et aux créations d’emplois, le financement de l’économie réelle, la protection des investisseurs et l’environnement.

Attention au shopping réglementaire sur MiCA

Pour l’AMF, la priorité, c’est la mise en œuvre de MiCA, avec l’agrément obligatoire d’ici fin 2024, mais aussi son harmonisation à l’échelle de toute l’Europe. L’harmonisation a déjà pu constituer une faille dans les dispositifs européens, certains États, par exemple sur le RGPD, se montrant moins exigeants.

La durée de la clause du grand-mère est-elle véritablement clé pour l’écosystème français comme le pense l’Adan ? Ce n’est pas certain au regard de l’AMF, pour qui il est peu probable que tous les PSAN enregistrés auront les moyens de se conformer à MiCA.

Marie-Anne Barbat-Layani exprime aussi un désaccord en ce qui concerne la protection des consommateurs. Pour l’Adan, la loi Pacte a permis un équilibre.

La protection des investisseurs véritable parent pauvre

La présidente de l’AMF juge au contraire que cette protection constitue « le parent pauvre de la réglementation ». Elle insiste : « il n’y a actuellement pas de disposition sur la protection des investisseurs ».

Au fur et à mesure que l’écosystème se développe, il est important que les investisseurs bénéficient de l’ensemble des protections dont ils disposent dans d’autres domaines », considère-t-elle.

Et pour l’AMF, le passeport européen MiCA rend encore plus critique l’harmonisation du règlement, pour protéger les consommateurs, mais aussi les entreprises régulées en France.

Nous œuvrons à l’ESMA pour éviter d’ouvrir la voie à un forum shopping qui permettrait à certains acteurs de mettre en concurrence les autorités nationales dans une course dangereuse au moins-disant réglementaire », explique-t-elle.

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Christophe Auffray
Cofondateur et rédacteur en chef adjoint - Journaliste spécialiste de la transformation numérique depuis 2005, Christophe a notamment été rédacteur en chef adjoint chez ZDNet. Il suit de près l’actualité autour des actifs numériques et la décrypte au quotidien. Contact : christophe@coins.fr